Résumé:
Cette modeste contribution intervient à un moment
où la Tunisie
cherche à trouver son chemin vers une véritable démocratie, une croissance
équitable ainsi que la dignité pour son peuple. Le chômage des jeunes en
général et celui des diplômés du supérieur en particulier ont constitué le
carburant principal de la Révolution du Jasmin. À moins d’identifier les
véritables causes sous-jacentes, toutes les solutions prescrites, aussi
ingénieuses soit-elles, ne produiront pas les résultats collectivement désirés.
Ce bref document, tente de montrer que la cause-clé sous-jacente, et donc le
talon d'Achille de la Tunisie,
est la mauvaise structure de son industrie. Le cadre analytique du Système National
d’Innovation (SNI) est utilisé pour s'attaquer à ce problème complexe et
durable. Des indicateurs normalisés, couvrant les principales composantes du
SNI, sont utilisés dans le but de démystifier les coupables et d'engager un
processus curatif collectif pour notre société souffrante.
Introduction:
Le 14 janvier 2011, le peuple tunisien libre a chassé du
pouvoir son dirigeant corrompu et a collectivement voulu construire une société
démocratique moderne éprise de paix. Le 23 octobre 2012, il a confirmé son
choix historique et organisé les premières élections démocratiques réussies. La Révolution
de Jasmin qui continue, ponctuée par ces deux dates clés, a été un paisible
réveil spontané sans idéologie, sans hiérarchie, réclamant la justice sociale
et économique. Elle a été activée par la soif du peuple pour la dignité, la paix
et la démocratie, les mots brise-chaînes de nos poètes et les prières qui
cherchent des bénédictions divines pour nos martyrs qui ont donné leur sang
pour la liberté ou qui sont mort en attente d'une miche de pain. Ces événements
sans précédent ont déclenché le Printemps Arabe et inspiré le Mouvement Occupy.
Malgré le succès des élections, le processus politique
relativement démocratique et le soutien de la communauté internationale, la Tunisie
est encore aux prises, entre autres, avec un chômage élevé, des inégalités
régionales significatives et une corruption croissante. Il va sans dire que
cette situation durable est le résultat de près d'un demi-siècle de leadership
autocratique, exacerbée par une transition post-révolution de deux ans trop
irrégulière. En effet, au moment d’écrire ces mots, le chef du gouvernement de
la troïka a présenté sa démission, après avoir échoué à constituer un gouvernement
réduit apolitique et composé de technocrates; ceci, à la suite d'une première, et
espérons dernière, exécution politique fermement condamnée.
Ces échecs gouvernementaux successifs, témoignent de
l'incapacité des dirigeants politiques, au sein et hors du gouvernement, à appréhender
les problèmes les plus urgents. Ils ont continué à parler de plusieurs
questions comme la sécurité, la croissance nationale et régionale, ainsi que de
l'emploi, sans proposer d'actions ou de plans viables pour gagner la confiance
de la population et commencer à alléger la pression sociale. La dernière
spirale de deux ans, menant à un grotesque assassinat politique commis de
sang-froid, a été accélérée par une lutte acharnée pour le pouvoir, un populisme
futile et une absence de volonté et/ou de compétence pour démystifier les
véritables causes de la crise. En fait et au mieux, presque toutes les actions
et les programmes déployés nous rappellent le gouvernement d’avant la
révolution !
La crise du chômage des jeunes a été le témoin d’une
défaillance systémique persistante, une bombe à retardement qui a été
systématiquement ignorée, en faveur d’une restriction des libertés, d’une intimidation
des citoyens et du pillage du pays, mais abordée théâtralement avec des politiques
illusoires. Cette situation de chômage était caractérisée par un pourcentage
élevé, apparemment absurde mais symptomatique, de diplômés du supérieur sans
emploi. En effet et pendant la dernière décennie ou presque, plus le demandeur
d'emploi était instruit moins il/elle avait de chances à trouver un emploi !
Cette situation absurde sera dénommée le Paradoxe Tunisien.
Une vision post
révolution:
La Tunisie post
révolution dispose d’une occasion unique et historique d'exploiter
intelligemment ses avantages concurrentiels et de rattraper rapidement les pays
développés, tout en prenant en même temps les devants pour devenir une Société
du Savoir Durable (SSD). Cette vision à long terme stipule que la Tunisie
assure sa place sur la scène internationale comme une société fondée sur le
savoir, où la croissance durable induite par l'innovation, le capital humain
créatif et habile avec un esprit d’entreprise et un système politique
démocratique, ouvrent la voie à une compétitivité des forces économiques et de
travail, une croissance durable équitable et inclusive à l’échelle nationale et
régionale, ainsi que l'amélioration du bien-être local et global. Il est
intéressant de noter, que les causes de la Révolution
du Jasmin, du Printemps Arabe et le Mouvement Occupy sont symptomatiques des
mêmes maux sociaux, faisant de la Tunisie du Savoir Durable une expérience
digne d'attention pour le reste de la planète.
Pour concrétiser cette vision, la Tunisie doit adopter plus
que jamais, une approche systémique où les quatre piliers de l'Economie du
Savoir (ES) sont harmonieusement combinés dans le temps et dans l'espace. Pour converger
rapidement et solidement vers la vision énoncée ci-dessus, il est nécessaire de
créer un environnement favorable à l'innovation pour une création efficace, la diffusion
et l’utilisation du savoir par le biais d’un Régime Economique et Institutionnel proactif. Il est aussi
nécessaire de disposer d'une population éduquée et compétente capable
d'utiliser efficacement le savoir grâce à un Système Educatif flexible et réactif de haute qualité et de faciliter
la communication, la diffusion et le traitement de l'information au moyen d’une
infrastructure moderne de Technologies de
l'Information et de la
Communication (TIC). Il est enfin nécessaire de poursuivre
vaillamment à la fois la connexion et l'assimilation du savoir global, mais
aussi l'adaptation et la création d’un savoir local pour le bénéfice
socio-économique via un Système National
d'Innovation (SNI) viable.
Alors que les quatre piliers de
l’ES ci-dessus sont nécessaires à la fondation d'une économie prospère basée sur le savoir, ils restent insuffisants quant
à la réalisation d'une société durable. Afin de garantir la durabilité, il est
fondamental de mieux caractériser la Société du Savoir (SS) que nous allons
construire en général et le type d'innovations que nous allons produire en
particulier. Dans ce cadre, la croissance économique, la cohésion sociale et la
protection de l'environnement doivent aller main dans la main pour faire du
développement durable une partie intégrante de l'élaboration des politiques.
Les dimensions complémentaires d’ES et de durabilité, intégrées dans un cadre
systémique nécessitent une gouvernance adaptée et une architecture institutionnelle
cybernétique capable des fonctions requises de direction, de surveillance et de
coordination.
Evidemment, avoir une vision,
une forte volonté de la poursuivre et même une occasion unique de la lancer est
loin d'être suffisant si les substrats socio-politiques, institutionnels et matériels
minimaux n'existent pas! En effet, la Tunisie est un pays avec des ressources
naturelles restreintes, une élaboration de politiques de ST&I et des expériences
de gestion en R&D limitées et des institutions de coordination et de
contrôle en ST&I quasi-inexistantes et, au mieux, non fonctionnelles. Ainsi,
pour que la Tunisie
converge rapidement et progressivement vers
une telle vision, elle doit garantir l’adhésion de toutes les parties
prenantes, rechercher clairement et concevoir des secteurs polarisant de
croissance stratégique avec un portefeuille d’initiatives phares de croissance dans
le cadre d'un plan d’action global et cohérent de développement à long terme.
Les économies fortes comptent
généralement sur trois principaux secteurs phares, à savoir, l’armement, l'espace
et la santé. Les petits pays, tels que la Tunisie, disposant de ressources
naturelles limitées, d'un marché réduit, d'une main-d'œuvre bon marché mais
néanmoins en léger recul, ainsi que d' une base hautement qualifiée et relativement
forte, a cependant le potentiel de s'engager avec succès dans des secteurs et
des technologies à haute valeur ajoutée, tout en investissant de manière viable
dans des secteurs utiles pour sa sécurité stratégique, comme par exemple,
l'agriculture, l’énergie et l’eau.
Afin que la vision ci-dessus
réussisse et mène ainsi vers la durabilité, il est nécessaire d’œuvrer à l'instauration
d'une société de consommation et de production durables dont la performance pérenne
est mesurée par des indicateurs appropriés, tels que son empreinte.
Simultanément, la Tunisie
doit focaliser dès le départ sur les technologies éco-efficaces et aller
progressivement mais sûrement vers l'innovation verte avec un engagement entrepreneurial
fort et dynamique, renforcé par des investissements publics agressifs. Pour y
arriver, ainsi que pour renforcer sa résilience face aux perturbations, la Tunisie a besoin de toute
urgence de développer ses capacités et d’acquérir le savoir-faire, les méthodologies
et les outils adéquats, en particulier l’analyse et la conception fondées sur
des éléments tangibles, la planification et la gestion stratégique, la prospective
pour le développement, la réorientation et l’établissement de priorités pour le
SNI et l’élaboration de feuilles de routes pour la technologie et l'innovation.
Revigoré par cette vision ainsi
que les stratégies viables et les plans d'action nécessaires pour l'atteindre,
le peuple tunisien sera en mesure de reprendre espoir, de donner confiance à son
leadership et de travailler dur en attendant avec impatience un avenir meilleur
pour lui-même et pour ses enfants. Néanmoins, cela n'est possible que si le
contexte politique est mûr pour une telle entreprise. Tout en préparant les
bases nécessaires pour lancer cette vision et gagner autant de terrain que
possible pour la mise en œuvre réussie de ce processus long et complexe qui
durera quelques décennies, le gouvernement actuel, avec le soutien de
l'opposition et de toutes les institutions concernées devrait s'entendre sur
une convention inclusive post révolution, s'abstenir de jeux de pouvoir
politique et garantir les trois nécessités suivantes : (i) la sécurité, (ii)
des emplois pour les jeunes et (iii) le redémarrage de l'économie. Une
tentative de mettre en œuvre un projet similaire, a été initié par l'ancien
chef du gouvernement et immédiatement abandonné par le principal parti
politique, dont le Secrétaire Général n'est rien d'autre que l'initiateur!
Un Système d’Innovation
en devenir
Un Héritage d'Innovation de
Trois Millénaires:
Au cours des trois derniers
millénaires, la Tunisie
a été un lieu d'exception pour le mélange, le rayonnement et la floraison de
plusieurs civilisations telles que les Carthaginois, les Romains et les
Hafsides. L'ouverture du pays aux autres cultures, sa tolérance ethnique et
religieuse, a coïncidé avec sa prospérité telle qu’attestée par la
diversification de ses marchés et de son commerce, ainsi que par sa maîtrise de
la science et de l'innovation
La Tunisie vu le savoir
prospérer pendant son ère Carthaginoise. L’architecture, la construction
navale, l'irrigation et l'agriculture étaient parmi les nombreux secteurs
réussis tel qu’attesté, entre autres, par les 28 volumes du Traité de Magon du 4ème
siècle avant JC.
Dès le VIIe siècle, la Tunisie a joué un rôle clé
et a vu sa capitale Kairouan, devenir une plaque tournante des activités intellectuelles
et d'apprentissage dans le monde arabo-musulman. La grande mosquée de Kairouan,
fondée en 670, ainsi que sa branche d'enseignement a été un centre d'éducation pour
la pensée islamique et les sciences profanes. Parmi ses anciens élèves et ses
savants, Ibn Al Jazzar, un médecin musulman influent de Xème siècle,
bien connu pour son livre "Zad Al-Musaffir" (le viatique). Au cours
du XIIIème siècle, Tunis devint la capitale de l'Ifriqiya. Ce
changement de pouvoir a contribué à l’épanouissement de la mosquée Al-Zaytouna,
hôte de la première et de la plus grande université dans l'histoire de l'Islam,
comme principal centre islamique d'apprentissage et de savoir. Ibn Khaldoun, un
universitaire tunisien, est le plus célèbre parmi les nombreux anciens
étudiants de cette institution. Il est plus connu pour son Al-muqaddimah (Le
Prologue) et est considéré comme l'un des pères de l'historiographie moderne.
La Tunisie Beylicale du XIXème
siècle a vu la création par Ahmed Bey, de l'Ecole Technique en 1840 et du
Collège Militaire du Bardo en 1855. Cet effort de modernisation a continué avec
Mohamed Sadok Bey, sous l'influence de son ministre Kheireddine Pacha par la
création, entre autres, du Collège Sadiki en 1875, en partie inspiré du système
éducatif européen. L'ex-président Habib Bourguiba est parmi ses anciens élèves.
L'ère
du protectorat français, a vu la création d'un certain nombre d’institutions de
recherche, dont, sous leurs appellations
actuelles, l'Institut Pasteur de Tunis en 1893, l'Institut National
Agronomique en 1898 et l’Institut National des Sciences et Technologies de la Mer en 1924. Après la seconde
guerre mondiale, les institutions de recherche sus-cités ont été complétées par
l'Institut des Hautes Etudes de Tunis en 1945, rattaché à l'Université de
Paris. Parmi ses étudiants, 300 tunisiens étaient inscrits.
Le Précurseur du Système d’Innovation:
La Tunisie indépendante a très tôt répondu à ses besoins en
éducation et en recherche avec plusieurs réalisations socio-économiques. Le
pays a rapidement répondu à ces défis par la création de l'Ecole Normale
Supérieure, en 1956 et l'Institut National Agronomique de Tunis, précédemment
dénommé Ecole Supérieure d'Agriculture de Tunis, en 1959. Ces réalisations ont
été suivies par la création de l'Université de Tunis en 1960. L'Université comprend
la Faculté des Sciences, la
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, la Faculté de Droit, Sciences
Politiques et Economiques, la
Faculté de Médecine et de Pharmacie et la Faculté de Théologie,
l'ancienne Zitouna. Presque simultanément, le Centre de Recherche sur les Problèmes
des Régions Arides et le Centre d’Etudes de Recherches Economiques et Sociales
(CERES), ont été créés en 1961 et 1962 respectivement. L'Ecole Nationale d’Ingénieurs
de Tunis (ENIT) a été créé en 1969.
Il
est important de noter que près d'une décennie après la création de la première
université en Tunisie, il a été décidé en 1968, d'abandonner le système
universitaire et de placer tous les établissements d'enseignement supérieur et les
centres de recherche nationaux sous le contrôle de Direction Générale de
l'Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (DGESRS) nouvellement
créée au Ministère de l'Education Nationale. Peu de temps après cette
restructuration particulière et significative, il a été décidé, en 1972,
d'établir des diplômes universitaires avancés équivalents au niveau du master,
lançant ainsi les études de 3ème cycle en Tunisie.
Cette
dernière dynamique de restructuration et de création, ainsi que l'augmentation
du nombre du personnel enseignant, a permis la création de certains
laboratoires de recherche et de plusieurs programmes de 3ème cycle dans
plusieurs disciplines. En conséquence, le nombre d'étudiants a augmenté et a
incité à l'ouverture de plusieurs établissements d'enseignement supérieur d'abord
à Sousse et Sfax, en 1974, puis à Monastir et Gabès en 1975
Ce
développement accéléré, a abouti à la
création, en 1978 et pour la première fois, d'un ministère dédié à la recherche
scientifique, surnommé le Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la
Recherche Scientifique (MESRS). Ce ministère a non seulement hérité et élargit
la mission de la DGESRS, mais a également reconnu la nature de la phase de
développement du système de recherche et la nécessité de renforcer les
capacités et ainsi, de conserver l'enseignement supérieur et la recherche
universitaire étroitement liés.
Le Système d'Innovation de la Tunisie aujourd'hui:
L'événement
marquant qui a lancé le Système Tunisien de la Recherche Scientifique a été la
promulgation, le 31 janvier 1996, de la
Loi d'Orientation relative à la Recherche Scientifique et au
Développement Technologique. Cette loi constitutive était le résultat de la
création, le 17 février 1991 au sein du Premier Ministère, du Secrétariat
d'État à la Recherche Scientifique, promu le 17 février 1992 à un Secrétariat
d'Etat pour la Recherche Scientifique et la Technologie (SERST). Les activités
du SERST portaient sur les activités de recherche orientées vers le
développement socio-économique, tandis que la recherche fondamentale et
l'enseignement de 3ème cycle étaient restés sous le Ministère de
l'Education et des Sciences.
Formulé dans le cadre du SNI, les
principaux objectifs de la Loi
d'Orientation étaient:
- Renforcer la coordination entre les différentes composantes du SNI afin de créer la synergie nécessaire, de construire des compétences durables et d'assurer un soutien financier continu;
- Promouvoir le renforcement des capacités comme pilier essentiel du SNI, ainsi que l'innovation technologique;
- Augmenter progressivement les dépenses de R&D, tout en assurant la diversité des ressources financières et en renforçant les contributions privées et internationales;
- Promouvoir l'innovation et le développement technologique par le soutien aux entreprises innovantes, la valorisation des résultats de la recherche, le renforcement du partenariat entre recherche et industrie, mais aussi par la création de techno-parcs et d’incubateurs;
- Renforcer le suivi et l’évaluation des activités et des structures de recherche;
- Développer la coopération internationale afin de faciliter l'échange des meilleures pratiques et d'accéder aux réseaux internationaux d'excellence scientifique; ceci afin de bénéficier d'un financement international et d'être un contributeur actif au savoir humain.
Peu
de temps après, un certain nombre d'institutions qui rappellent les Systèmes
Nationaux d'Innovation modernes ont été créées et/ou ajoutées à celles déjà
existantes, au sein et/ou sous la tutelle du Ministère de l'Enseignement
Supérieur et de la Recherche Scientifique (MESRS) et du Ministère de l'Industrie
et de la Technologie (MIT). Comme indiqué dans les objectifs sus-mentionnés,
ces institutions devaient assurer l'exécution, le suivi et l'évaluation des
activités prévues par la Loi
d'Orientation et de ses décrets de mise en œuvre ultérieurs.
Le
SNI actuel comprend les principales composantes suivantes, regroupées dans les
quatre différents niveaux standards :
Niveau
1: Stratégies de Niveau Elevé
- Conseil Supérieur de la Recherche Scientifique et de la technologie,
- Comité de Haut Niveau pour la Science et la Technologie,
- Comité National Consultatif pour la Recherche Scientifique et la Technologie.
Niveau
2: Ministère
- Le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (La Direction Générale de la Recherche Scientifique (DGRS) est le principal organisme de financement de la recherche scientifique),
- Ministère de l’Industrie et de la Technologie.
Niveau
3: Agence
- Comité National d'Evaluation des Activités de la recherche Scientifique (CNEARS),
- Observatoire National des Sciences et de la Technologie (ONST),
- Agence Nationale de Promotion de la Recherche Scientifique (ANPR),
- Institut National de Normalisation de la Propriété Industrielle (INNORPI),
- Agence de Promotion de l’Industrie et de l’Innovation (APII).
Niveau
4: Acteur de la
Recherche et de l’Innovation
- Les universités et les Centres de Recherche Publics (le système Tunisien de R&D est composé d'environ 140 laboratoires de recherche et500 unités de recherche, évoluant dans 13 universités, ainsi que de 33 centres de recherche publics, 8 centres techniques et 10 techno-parcs.)
- Les entreprises commerciales et les institutions de recherche privées (l'industrie en Tunisie est composée de presque 6 000 PME ayant 10 salariés et plus, dont 2 800 sont totalement exportatrices, 1975 à participation étrangère. 1221 entreprises sont 100% étrangères et 1679 sont des PME totalement exportatrices.)
Afin de dynamiser le SNI et
faciliter l'émergence de synergies entre ses différents sous-systèmes, un
certain nombre de programmes de R&D et d'instruments financiers ont été
déployés depuis 1992. Parmi ceux-ci, les Programmes de Recherche Fédérés (PRF),
le Programme National de Promotion de l’Innovation Technologique (PNRI), le Programme
de Valorisation des Résultats de la Recherche (VRR) et la Prime accordée au titre des
Investissement en R&D (PIRD). Les mécanismes de capital-risque, en
particulier la SICAR
(Société investissement à Capital Risque), ont été modifiés en 2009 pour
encourager la prise de risques.
Un Aperçu de la Performance du Système
d'Innovation :
Les secteurs de l'enseignement,
de la recherche scientifique et de l'innovation ont toujours eu une place de
choix dans la stratégie de développement de la Tunisie. Cela vient
en reconnaissance de leur rôle essentiel dans le développement du pays. Selon
les données de la
Banque Mondiale, les dépenses de la Tunisie sur l’éducation en
2008 étaient de 6,3% du PIB, ce qui est nettement supérieur au taux de dépenses
de l'Algérie (4,3% en 2008) et celui du Maroc (5,4 en 2009). En 2009, 34,4% de
la population concernée ont bénéficié de l'enseignement supérieur (Algérie :
32,% en 2011, Maroc : 13,2% en 2009). Selon le Rapport sur la compétitivité
mondiale du Forum économique mondial 2011-2012, la Tunisie est classée 24ème
quant à la scolarisation dans l'enseignement primaire et 40ème quant à sa
qualité. Par ailleurs, le même rapport classe la qualité globale du système
éducatif à la 41ème place et la qualité de l'enseignement des
mathématiques et des sciences à la 18ème place. Il est cependant
malheureux de constater que la
Tunisie a été beaucoup mieux classée l'année dernière!
Inscriptions, enseignement supérieur (% brut)
Les dépenses pour la R&D ont
vu une augmentation constante au cours de la dernière décennie. Elles ont plus
que doublé, passant de 0,5% en 2000 à 1,1% en 2009. Même si cette performance
reste inégalée dans la région (par comparaison elle est de 0,1% pour l'Algérie
en 2005 et de 0,6% pour le Maroc en 2006), elle échoue à répondre aux besoins
du pays à remonter dans la chaîne des valeurs. Le nombre de chercheurs en R&D,
par million d'habitants, a presque triplé au cours des deux dernières
décennies. En effet, l'indicateur est passé d'environ 700 en 1998, à 1,900 en
2008. Cette performance reste notable dans la région par rapport à 170 pour
l'Algérie en 2005 et 661 pour le Maroc en 2008. En ce qui concerne les articles
de revues scientifiques et techniques, la Tunisie a réussi à dépasser exponentiellement
ses voisins et atteindre 1022 publications en 2009, alors qu'elle a simplement
publié 91 articles en 1993. En comparaison, l'Algérie a publié 123 articles en
1993 et 606 en 2009. Cependant, le Maroc a vu ses 164 publications de 1993 atteindre
seulement 391 en 2009.
Articles
de revues scientifiques et techniques
Cette croissance exponentielle des
publications est directement liée à la restructuration majeure qui a eu lieu
suite à la promulgation de la Loi
d'Orientation de 1996. En fait, un examen plus attentif de ces dynamiques, en
particulier dans les domaines académiques bien établis tels que la chimie,
montre sans aucun doute la relation de cause à effet entre la date de
promulgation de cette législation et le développement des publications qui
s'ensuivit. Selon Thomson Reuters en 2011, le nombre de publications par
million d'habitants fait de la
Tunisie le premier pays en Afrique et la place également devant
l'Arabie Saoudite.
Un grand nombre de ces
publications ont été publiées à la suite de travaux de recherche en
collaboration entre les chercheurs tunisiens et leurs principaux collègues à
l'étranger. Le Rapport sur la Recherche Globale en Afrique publié par Thomson
Reuters en avril 2010, révèle que la
Tunisie avait 32,6%, 2,8%, 2,7%, 2,5% et 2,1% de ses
publications en collaboration avec la
France, les Etats-Unis, l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni,
respectivement. Ces résultats sont analogues à ceux de l’Algérie, montrant des
similitudes entre les pays voisins, mais remarquablement différents pour
l'Égypte qui collabore non seulement avec les États-Unis et le Royaume-Uni, mais
également avec l’Allemagne, le Japon et l'Arabie Saoudite. Il faut noter que
ces statistiques changeront très certainement en faveur de la coopération Tunis-Allemande
vu qu’un ambitieux programme bilatéral de coopération en recherche et
innovation a été lancé pour la première fois dès le début de cette année.
Malheureusement, cette
performance relative de la
Tunisie est compensée par la modeste contribution des
activités de R&D à l'économie tunisienne. Pour exemple, le rapport de la Banque Africaine
de Développement, Tunisie : Défis Economiques et Sociaux post révolution, a
signalé que seulement 17 brevets internationaux ont été accordés par l'USPTO et
l'OEB à la Tunisie entre 2001-2010 et 22 pour le Maroc. Cette observation est
corroborée par la faible performance en exportation de haute technologie. En
effet, la Tunisie a exporté 4,9%, en 2010, alors que le Maroc a atteint les 7,7%.
Ces résultats sont révélateurs d'une rupture dans le SNI tunisien, malgré
l'évolution notable du nombre de chercheurs, des ingénieurs et des
scientifiques, ainsi que des publications scientifiques et techniques. Il est
évident que ces performances contrastées entre la Tunisie et le Maroc,
malgré les différences notables en faveur de la Tunisie dans les indicateurs
ci-dessus, est une indication des différences structurales, qui se sont
produites en 1997, en aval, le long des chaînes respectives de l'innovation!
Exportations haute technologie (% exportations
produits manufacturés)
Encore une fois, le rendement
qui est loin d’être satisfaisant du système de l'innovation est clairement
confirmé par l’Index Global de la compétitivité 2011-2012, où la Tunisie atteint juste un
pauvre 3,6 en matière d'innovation et un 3,8 en préparation technologique; ce
qui donne un score de 3,9 dans l'index de l'innovation et de la sophistication.
En outre, de faibles dépenses en R&D en entreprise, avec un score de 3,4
ainsi qu'un faible indice de collaboration université-industrie en R&D de
3,7 expliquent la faible capacité de 3,4 pour l'innovation des PME tunisiennes.
Lacunes des
réponses politiques actuelles:
La révolution a été l'ultime expression d’une défaillance systémique, une
levée de boucliers d'une population désespérée qui a conquis sa peur et évincé
un État policier corrompu qui ne pouvait plus le contrôler. Le révélateur de
cet échec a été une crise flagrante durable du chômage des jeunes caractérisée
par un pourcentage élevé, apparemment absurde, mais symptomatique de diplômés
du supérieur au chômage. En effet, et pendant la dernière décennie ou presque, plus
le demandeur d'emploi était instruit moins il/elle avait de chances de trouver
un emploi! Cette situation absurde sera dénommée le Paradoxe Tunisien.
Les principales lacunes, indépendamment de la corruption et du manque de
liberté, qui ont contribué à cet état des choses, sont :
•
L'absence d'une vision collective;
•
Malgré les réussites isolées, le “système” n'a pas tenu ses promesses;
•
Le manque de cohérence globale et l'absence de coordination ont entraîné
une défaillance systémique;
•
Malgré les programmes de modernisation industrielle, l'innovation est restée
fragile;
•
Absence de synergies, même avec les multitudes d'incitatifs et de programmes.
Recommandations:
Les lacunes et les défis
reconnus cités précédemment sont en effet l'occasion pour la Tunisie de trouver sa voie
pour une transformation profonde. Facilitant par conséquent son ascension au
rang des nations développées et transformant ses SNI pour rattraper les pays émergents.
Dans cette dernière section, un
certain nombre de recommandations à court et moyen termes est proposé:
Enseignement Supérieur:
- Accorder l'autonomie aux meilleures universités, dans le cadre d'un programme de différenciation salutaire;
- Remodeler la gouvernance de l'université en adaptant les pratiques exemplaires et les structures compatibles avec la qualité de l'enseignement et de la formation à la recherche;
- Permettre aux universités de diversifier leur financement par la maximisation des rendements, tout en jouant leur rôle comme moteur local de la croissance socio-économique et de développement.
Industrie:
- Adopter une politique industrielle à long terme, capable, dans les court et moyen termes, de consolider les secteurs concurrentiels, tout en lançant progressivement une douzaine de niches à haute valeur ajoutée dans le cadre d'une stratégie cohérente;
- Initier des programmes nationaux d'acquisition de l'innovation, afin d'accélérer la mise en œuvre de la politique industrielle;
- Soutenir un certain nombre de grands projets nationaux de ST&I ciblés, afin de renforcer la capacité, d'encourager le travail collaboratif et de stimuler l'apprentissage collectif.
Gouvernance:
- Créer un poste de Vice-Premier Ministre pour coordonner le système complexe de ST&I et s'assurer de son alignement avec les autres politiques et stratégies nationales;
- Rationaliser la structure du SNI réel avec des modèles confirmés, tout en gardant les mêmes composantes et en modifiant légèrement leurs missions et leurs rôles;
- Développer une capacité effective et suffisante pour l’élaboration et l’analyse de politiques en ST&I ainsi que des capacités de gestion en R&D.
Prof. Jelel Ezzine
President of the
Tunisian Association
for the Advancement of
Science,
Technology and
Innovation (TAASTI)
jelel.ezzine@gmail.com