Partie I
Quels enjeux euro-méditerranéens à la lumière des
bouleversements profonds suscités par l’avènement des « printemps
arabes » ?
Dans l’exposé ci-après, un état des lieux de la coopération
euro-méditerranéenne dans un contexte particulier, celui du soulèvement des
peuples arabes contre des régimes dictatoriaux. L’Union Européenne (UE) pourrait-elle
apporter de nouvelles réponses aux besoins des peuples et aux contraintes qui en découlent ? Aussi bien
le processus de Barcelone, la Politique Européenne de Voisinage
(PEV) que l’Union pour la
Méditerranée (UPM) ont relativement failli dans la réalisation d’un
processus d’intégration euro-méditerranéen réussi. Les soulèvements des peuples arabes contre
leurs oppresseurs ont réveillé les consciences et incité les partenaires
historiques européens à revoir leurs cartes.
L’avènement historique du printemps arabe sur la rive
sud de la Méditerranée et l’accroissement de la crise économique sur la rive
nord, a poussé la communauté euro-méditerranéen, sous la direction de la Commission Européenne (CE), à faire
le bilan des relations entre les deux rives, et profiter des nouvelles donnes pour revoir le
modèle de coopération adopté jusque là et l’orienter vers un partenariat plus
équilibré et profitable aussi bien pour les pays du Sud que ceux du Nord.
La Conférence euro-méditerranéenne sur la recherche et
l'innovation (Barcelone, Avril 2012) a été le lieu privilégié pour en discuter
et pousser la réflexion vers la mise en place de programmes et de projets qui
puissent répondre aux nouvelles exigences et besoins de la région. Le renforcement
des compétences pour la recherche et l'innovation, la gouvernance, le capital humain
et l'infrastructure de recherche, autant de thématiques qui portent tout leur
sens en cette période cruciale des pays du Sud de la Méditerranée.
Il s’agit en fait de répondre à trois questions inéluctables :
- Comment rehausser les politiques de recherche et d'innovation dans la région méditerranéenne (gouvernance de la S & T et réformes institutionnelles ...) ?
- Comment résoudre la problématique des Ressources humaines, la formation et la mobilité, y compris la diaspora ?
- Que faire pour renforcer les infrastructures de recherche et d'innovation ?
Une Europe plus forte pour sortir de la crise
économique
«Je veux que l'Europe sorte plus forte de la crise
économique et financière » a
déclaré José M. Barroso dans la préface de l'Europe 2020. Il a ajouté: « Il
s’agit de plus d’emplois et d’une vie meilleure... Il faut que l’Europe ait la
capacité de réaliser une croissance intelligente, durable et inclusive, de trouver
les moyens de créer de nouveaux emplois et tracer de nouvelles orientations
plus efficientes pour nos sociétés ». Il a en outre rappelé que «La commission s’est fixée cinq objectifs pour
l’année 2020 afin de conduire le
processus de développement qui devrait
être adopté aux échelles nationales pour créer de l'emploi, développer la recherche
et l'innovation, lutter contre le changement climatique et s’approprier de nouvelles
énergies, mettre en place un meilleur enseignement et lutter contre la pauvreté".
Presque simultanément, le Printemps arabe amorcé en Tunisie, s'est rapidement
étendu aux pays voisins et au-delà, il a inspiré d’autres mouvements
contestataires. L’exemple le plus édifiant a été celui lancé aux Etats-Unis
contre l’hégémonie des mastodontes de la finance internationale. "Occupy
Wall Street" a été l’écho des mêmes aspirations des peuples du Monde à plus
de liberté et à la dignité. Ce fût l’expression
de revendications légitimes exigeant une participation politique plus effective
et une croissance inclusive et durable, capable de fournir des emplois et une
vie meilleure. Ces évènements de grande importance dont le théâtre a été les
pays du Sud de la mare nostrum conjugués à la crise sans précédent advenue
dans ceux du Nord et la dynamique qu’ils ont suscité, ont réveillé le monde et ont incité les uns
les autres à s’informer sur ce qui se passe sous des cieux qui ne sont pas les
leurs allant jusqu’à s’en enquérir par téléphone. Cela a rappelé également à
tout et un chacun que l’on ne peut plus échapper à la globalisation et que nous
partageons un même avenir dans une petite planète appelée terre.
Ce nouveau contexte historique qui en vient à
accroître les défis auxquels fait face le Monde, comme le changement
climatique, la pénurie en énergie et en eau, les maladies infectieuses et la
sécurité alimentaire pour n'en nommer que quelques-uns, appelle l'UE et les
pays méditerranéens du Sud, conjointement, à fixer ensemble des objectifs
ambitieux pour la région euro-méditerranéenne. Il les appelle également à
s'engager à répondre à l'aspiration des
générations présentes et futures, au travers d’un nouveau paradigme en matière
de coopération qui va au-delà du partenariat traditionnel. De fait, la coopération euro-méditerranéenne dans le
domaine de l'énergie est la plus révélatrice en la matière. En effet, les deux
rives de la Méditerranée sont très dépendantes les unes des autres quand il
s'agit de l'approvisionnement en énergie, et elles le seront d'autant plus lors
de la mise en œuvre progressive du Plan
Solaire Méditerranéen (PSM) par l'UPM en tant que programme macro-régional stratégique
de l'énergie renouvelable dans le cadre du Processus de Barcelone. La mise en
œuvre de ce projet transnational nécessitera le plein engagement des pays
membres de l'UPM, la CE, les universités et les instituts de recherche, les ONG
intéressées dans l'espace méditerranéen, ainsi que des institutions financières
publiques et privées. La dimension régionale et l'importance planétaire de cette
entreprise, grâce à laquelle on réalise des avantages environnementaux
considérables, qui a des répercussions économiques et offre des opportunités technologiques multiples et
sans précédent auparavant ainsi que des avantages sociaux, sont indiscutables.
Toutefois tout
en reconnaissant qu’il va falloir déployer des
efforts supplémentaires pour une
mise en application effective des accords conclus entre les pays des rives Nord
et Sud de la Méditerranée, il faudrait également repenser et reconcevoir les
accords de coopération dans un cadre
plus égalitaire, profitable aux uns et aux autres, capable de répondre
aux aspirations des peuples méditerranéens partageant une même destinée et leur
assurer paix, sécurité et prospérité. "Si
nous agissons ensemble, nous pouvons mieux nous battre et sortir de la crise plus
forts. Nous avons les moyens et de
nouvelles ambitions. Ce qu’il faut, c’est arriver à les réaliser », Conclu
Barroso.
Œuvrer pour un partenariat plus équilibré entre les deux rives de la Méditerranée
Le partenariat euro-méditerranéen, ou ce qu’on a pendant longtemps appelé processus de Barcelone, a été inauguré en Novembre 1995. Il a mis en place un large éventail de programmes touchant à la coopération politique, économique et sociale entre les États membres de l'UE et les pays partenaires méditerranéens (PPM). Le processus de Barcelone a offert aux deux partenaires un cadre unique et ambitieux où ils pouvaient œuvrer ensemble à construire un espace méditerranéen, sécurisé, apaisé, assurant le développement économique et garantissant les échanges socioculturels. Ce partenariat a été mis en œuvre par le biais des accords d'association (AA) entre l'UE et les pays méditerranéens partenaires PPM, et un programme d'assistance intitulé (MEDA). Plusieurs évaluations de ce partenariat s’accordent à dire que «le processus de Barcelone a raté son objectif principal : renforcer le dialogue euro-arabe et surmonter les différences entre le Nord et le Sud du bassin ... Trop handicapé par les lourdeurs bureaucratiques, il n'a pas présenté la plate-forme idéale pour les projets et les rêves. L'ambition initiale a peu à peu disparu.»
Alors que la plupart des auteurs s'accordent sur l'échec relatif du processus de Barcelone, leurs explications quant aux raisons de l’échec et ses causes sous-jacentes, sont différentes. En résumé, trois facteurs distincts expliqueraient le revers de médaille du processus de Barcelone : un d’ordre financier, un autre d’ordre managérial et enfin un autre d’ordre commercial.
L’argument financier ressort que non seulement le budget alloué au processus était en deçà des attentes, mais qu’il a été assuré à un pourcentage très faible. A hauteur de moins de 30% pour MEDA I. En outre, un seul projet visant l'innovation (EUMEDIS) a été financé pour environ 1% du budget total. L’argument managérial relève de la responsabilité des deux parties signataires. Les capacités administratives limitées des pays méditerranéens partenaires qui ne satisfaisaient pas aux exigences européennes et une méconnaissance culturelle du côté de l'UE n’ont pas facilité le processus. Quant à la dimension commerciale, traduite sur le terrain par la zone de libre-échange, eh bien elle a occulté un principe fondamental pour la construction du projet euro-méditerranéen, en niant à l'espace euro-méditerranéen ses dimensions géopolitiques, géoéconomiques et stratégiques. L'élargissement de l'Union européenne et la mondialisation rampante, ainsi que les éléments cités plus haut ont favorisé l'émergence de la politique européenne de voisinage (PEV) depuis 2003. Ce nouveau cadre stratégique a constitué une étape marquante aussi bien à l’échelle quantitative que qualitative pour ce qui est de la coopération Nord-Sud. Il a également incarné la dimension stratégique ambitionnée. L'été 2008 a vu le Processus de Barcelone évoluer vers l'UPM. Cette initiative visait à fournir aux deux rives de la Méditerranée un cadre, une stratégie et des moyens d'action, ce qui leur aurait permis de faire face ensemble aux défis de la mondialisation.
L’avènement du printemps arabe a incité l'UE à en mesurer l'importance historique et reconnaître les conséquences durables d’une profonde transformation sur le peuple euro-méditerranéen, le monde et l'UE en particulier. De nouvelles réponses pour un voisinage en mutation, s’imposaient dès lors. De nouvelles manières de communiquer et des possibilités pour un nouveau cadre d’échanges euro-méditerranéen, dont les objectifs, le modus operandi et la feuille de route sont conçus par la communauté euro-méditerranéenne.
Changer de cadre institutionnel dans un
objectif d’efficience
Le comité de suivi (MoCo)
a été mis en place par la CE dans le cadre du processus de Barcelone. Il vise à
promouvoir le développement d'un espace euro-méditerranéen pour la science et la technologie en stimulant et en assurant la
coopération en recherche et développement technologique (RDT). Pour atteindre
cet objectif, MoCo propose, entre autres, des plans d'action pour étendre l'espace
européen de la recherche (EER) à toute la région. Il est composé de hauts
fonctionnaires représentant les Ministres de RDT des Etats membres et des PPM.
Il est co-présidé par un représentant du pays assurant la présidence de l'UE et
un co-président de la rive Sud.
Depuis 2001, lors de sa 8ème réunion à Stockholm, MoCo a concentré ses activités sur deux objectifs : l’ouverture de l'EER au reste du PPM, et le développement de liens et de synergies dans le cadre du programme MEDA.
Étant donné que le programme MEDA ne comprend pas les
activités de RDT, il a fallu l'intervention des ministres des Affaires
étrangères. Lors de la Conférence de Naples en 2003, on avait encouragé
fortement l'insertion d'une composante de RDT dans chaque secteur prioritaire.
En outre, « les ministres ont souligné que le développement de la
recherche et de la technologie (RDT) est un outil important pour la stabilité
économique et la croissance de tous les pays du pourtour méditerranéen. Ils ont
convenu que l'ouverture de l'Espace européen de la recherche à tous les partenaires
méditerranéens pouvait renforcer l'intégration régionale dans le court terme
et contribuer à la croissance durable,
la création d'emplois à haute valeur ajoutée, et la promotion des économies
compétitives. »
La Déclaration ambitieuse du Caire intitulée : «Vers un espace euro-méditerranéen de l'enseignement supérieur et de la recherche», fit l’objet d’un accord interministériel signé en Juin 2007 au Caire.
La Charte euro-méditerranéenne pour l'entreprise tente
de faire de la région euro-méditerranéenne une vaste zone de libre-échange et
de prospérité économique. Parmi ses actions, on trouve:
- l’adaptation des programmes des universités aux besoins des entreprises innovantes,
- l’encouragement des liens entre l'enseignement supérieur, la recherche et l'industrie,
- l’assurance d’un développement rapide de connaissances au service des PPM,
- le renforcement de la participation des entreprises nationales dans les pays riverains de la Méditerranée, celles européennes et internationales dans les programmes de technologie,
- l’encouragement de la participation des entreprises méditerranéennes dans les programmes internationaux de R & D.
La coopération entre l’UE et les PPM comporte une
pléthore d'instruments. Parmi ces instruments, nous pouvons énumérer les
éléments suivants:
- Le programmes Tempus, Erasmus Mundus et Marie Curie
- Le programme-cadre (FP7),
- Le programme cadre pour la compétitivité et l'innovation (CIP)
- Le programme euro-méditerranéen de coopération industrielle
- L'Instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP)
- Le programme IEVP de coopération transfrontalière (CTF)
- L'assistance technique et d'échange d'informations (TAIEX)
- L'instrument de jumelage
- Action de coordination de l’innovation et de la recherche Méditerranéenne (MIRA)
- Le projet EUROMEDCONNECT
- Facilité euro-méditerranéenne d’investissement et de partenariat de la Banque européenne d’investissement (FEMIP).
Un coup d'œil à la liste ci-dessus révèle des
informations importantes sur la structure de la coopération en matière de RDT
entre l’UE et les PPM.
En fait, les onze éléments énumérés ci-dessus couvrent
la quasi-totalité de ce que pourrait devenir un système régional d'innovation
(SRI). Malheureusement, de nombreux obstacles ont empêché l'émergence d'une
recherche novatrice cohérente et dynamique capable de contribuer davantage à la croissance et d’assurer plus de
bien-être.
Dans ce cadre, nous devons nous attendre à trois
obstacles :
- L'absence d'un cadre intégré et cohérent à l’échelle Euro-méditerranéenne.
- L’absence d’une utilisation "soft" des connaissances,
- Biaisage organisationnel favorisant le High-tech/Publique.
Dans la deuxième partie de cet exposé, nous essayerons d’apporter des réponses sur le quoi et le comment des attentes des peuples des deux rives de la Méditerranée pour une coopération plus cohérente et mutuellement bénéfique.
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